- BRONZES ANTIQUES
- BRONZES ANTIQUESLes archéologues et historiens de l’art antique ont montré, depuis les années cinquante, un intérêt nouveau pour les «petits bronzes», statuettes et objets décorés. Cela s’explique en partie par des découvertes spectaculaires: plusieurs milliers de bronzes géométriques et archaïques dans le stade d’Olympie; une riche vaisselle de bronze et d’argent dans les tombes de Macédoine et de Thrace; des vases étrusques et grecs en Gaule de l’Est et en Allemagne du Sud-Ouest, dont le cratère de Vix n’est que l’exemple le plus frappant. Mais il y a là aussi un phénomène plus général: les petits bronzes grecs sont des originaux, alors que nous ne connaissons guère la sculpture classique et hellénistique que par des copies; dans les provinces de l’Empire romain, la statuaire juxtapose des marbres souvent académiques et des reliefs d’un attrait esthétique parfois médiocre, alors que, même maladroites, les statuettes ont une séduction indéniable. Plus généralement, l’artisanat prend une revanche sur le grand art; les problèmes techniques qu’il pose, de même que ses implications sociales et économiques, donnent à l’étude des petits objets une importance croissante.Cela n’enlève rien de leur importance à la découverte de «grands bronzes», qui modifient sur bien des points notre vision d’une statuaire que nous connaissons surtout par des copies romaines en marbre. Citons les statues du Pirée, surtout du IVe siècle, les deux héros de Riace, en Calabre, l’un et l’autre du Ve siècle; l’«athlète Getty», qu’on dit repêché au large de Fano, de style lysippéen; la tête barbue de Porticello, près de Reggio de Calabre, qui fait remonter au Ve siècle la naissance du portrait individuel; la première statue d’Auguste à cheval, découverte au centre de l’Égée; le groupe en bronze doré de Cartoceto, non loin d’Ancône, du début de l’époque impériale.Problèmes techniquesEn ce qui concerne les problèmes techniques, des fouilles continuent à apporter des données nouvelles, en cours d’interprétation, par exemple pour la grande statuaire grecque à Olympie, à Corfou et à Rhodes, à Alésia et en Hongrie pour les petits objets romains. L’étude des objets montre de plus en plus que la technique très simple de la cire perdue, encore utilisée aujourd’hui dans plusieurs parties du monde, a été à peu près la seule employée dans l’Antiquité. Mais, à plusieurs reprises (Égypte hellénistique, Gaule romaine), les artisans, voulant augmenter massivement leur rythme de production, ont mis au point des procédés de fabrication en série, avec des moules partiels réutilisables.On travaille beaucoup sur les problèmes de composition des alliages, recherches qui deviennent vraiment intéressantes depuis que, dans les années soixante-dix, on a mis au point des méthodes d’analyse qui donnent des résultats «reproductibles», c’est-à-dire identiques d’un laboratoire à l’autre, et par conséquent vraiment utilisables pour des comparaisons. Mais la complexité de la circulation des métaux dans l’Antiquité, le nombre des refontes à toutes les périodes font que des résultats historiques nets n’ont pu être atteints que sur deux types de questions. Le premier concerne les époques hautes. Sur le moment où, dans chaque région d’Asie occidentale et d’Europe, on passe d’un alliage de cuivre et d’arsenic, puis, peut-être, de cuivre et de plomb à l’alliage de cuivre et d’étain, c’est-à-dire au bronze proprement dit, les résultats sont clairs, même si le problème de l’origine de l’étain employé en Asie antérieure et en Grèce reste irritant: Asie centrale ou façade atlantique? Il se peut que de petits gisements du Caucase et de Bohême, épuisés aujourd’hui et, par conséquent, oubliés dans la littérature archéologique récente, aient joué un rôle au départ, puisque c’est dans le Caucase que le bronze a été inventé. Dans d’autres cas, à l’intérieur d’un groupe bien délimité d’objets, l’analyse du métal a pu permettre de distinguer importations et produits locaux, comme on l’a fait pour la céramique; c’est même, actuellement, la voie la plus immédiatement fructueuse.En ce qui concerne les alliages, nous pouvons noter quelques résultats étonnants: les chevaux de Saint-Marc sont en cuivre à peu près pur, sans doute pour faciliter la dorure; le cratère de Derveni contient presque 15 p. 100 d’étain, ce qui rend, en principe, très difficile le travail au repoussé, mais donne au vase sa teinte dorée claire. En général, il semble que c’est à partir de l’époque hellénistique avancée que, pour faciliter la coulée, on a ajouté souvent du plomb (alliage ternaire Cu + Sn + Pb); le zinc est fréquent dans les objets romains, peut-être en Gaule plus qu’ailleurs; on a aussi des exemples de véritables laitons (Cu + Zn).La bibliographie relative aux procédés de fabrication des objets en bronze est très abondante. La difficulté est, ici, que les techniciens modernes, à qui les archéologues doivent faire appel, risquent d’être influencés par leurs habitudes propres, plus rationnelles en général que celles de l’Antiquité, époque où le problème de la main-d’œuvre, c’est-à-dire du temps nécessaire à la réalisation d’un objet, ne se posait pas de la même façon.Dans l’Antiquité comme de nos jours, on pouvait fabriquer un objet soit à la fonte, soit en façonnant le métal par martelage. Mais les deux procédés peuvent coexister sur un même objet: certains vases, romains surtout, sont partiellement amincis par martelage, alors que l’essentiel est obtenu directement à la coulée.Le trait le plus marquant de la technique gréco-romaine est certainement la prédominance de la fonte à cire perdue directe, qui consiste à façonner entièrement l’objet, plein ou creux, en cire, à évacuer celle-ci du moule par chauffage, et à la remplacer par le bronze. Au contraire, les vases chinois les plus anciens (bronzes Shang) sont coulés dans des moules en plusieurs parties, faits à partir d’une matrice en terre cuite; en Europe occidentale, les métallurgistes de l’âge du bronze ont utilisé surtout des moules en deux valves réutilisables. En Grèce et à Rome, ces moules en deux valves ne se trouvent guère que pour des objets plats qu’on pouvait couler en «grappe» (pointes de flèches, certains bijoux); quelques statuettes isolées, datant de diverses époques, montrent la suture de deux valves. Le procédé habituel obligeait à façonner chaque fois un nouveau modèle de cire, jamais tout à fait identique au précédent. Quelques séries suggèrent que c’est pour la confection du modèle de cire, éventuellement retouché avant la coulée, qu’on se servait de moules en deux valves réutilisables: c’est le cas de certains éléments de vases grecs, en tout cas à la fin de l’archaïsme, de pieds de cistes étrusques du IIIe siècle avant J.-C., de statuettes gallo-romaines. On a trouvé en Égypte des fragments, d’époque hellénistique, de moules de statuettes en plusieurs parties: les traditions égyptiennes se distinguaient de celles de la Grèce et de Rome, en particulier par l’usage de moules de plâtre.Pour la grande statuaire, on cerne de plus en plus précisément le passage progressif, au cours du Ve siècle avant J.-C., du procédé «direct» ou «sur positif», où l’on modèle en cire la statue, au procédé «indirect» ou «sur négatif», où l’on étend une mince couche de cire à l’intérieur d’un moule, généralement en plusieurs parties, pris sur modèle qui est fait le plus souvent en argile.Le second caractère marquant des pratiques antiques, grecques encore plus que romaines, est l’importance du travail à froid. Une partie du décor gravé pouvait être exécutée dans le modèle de cire; mais, après le polissage très soigneux de la surface, bien des détails sont faits par ciselure; il n’est pas toujours facile, sur l’objet fini, d’en décider. L’incrustation était réservée, dans la Grèce archaïque et classique, aux grandes statues. À l’époque hellénistique et romaine, elle se généralisa sur des vases et des statuettes.Enfin, deux procédés sont fréquents: l’assemblage et la réparation. Même dans des statuettes, il arrive que les bras soient faits à part et assemblés ensuite: les fondeurs évitaient de couler des objets de forme trop complexe, qui auraient obligé à ménager des jeux d’évents multiples pour l’évacuation des gaz lors de la coulée. Mais de nombreux défauts de fonte apparaissaient, minutieusement réparés par l’incrustation de petites plaquettes. L’assemblage ou la réparation par «surcoulée», dont on a des exemples, restent rares.Le martelage, qui est le procédé des chaudronniers ou dinandiers d’aujourd’hui, est inégalement employé dans l’Antiquité. Les premières statues de bronze grecques, dès la première moitié du VIIe siècle avant J.-C., sont en tôle de bronze fixées sur du bois (procédé dit sphyrelaton ). Les vases martelés grecs ont presque 1 millimètre d’épaisseur; certaines séries de chaudrons romains, ou gallo-romains, ne dépassent pas 0,3 mm, ce qui suppose un procédé différent. Les cuirasses et les boucliers, mais pas nécessairement les casques, sont martelés. Une grande partie de la vaisselle courante est faite ainsi. C’est en Grèce, du VIe au IVe siècle, que les vases martelés, qui coexistent toujours avec des vases fondus, témoignent de la virtuosité des artisans; on citera par exemple des hydries et quelques grands cratères, obtenus non à partir d’un flan circulaire, comme on l’a écrit à propos du cratère de Vix, mais d’une sorte d’œuf coulé, plus petit et plus épais que le vase définitif, étiré ensuite au marteau, avec certainement des recuits intermédiaires. Mais c’est bien la maîtrise de la fonte à cire perdue qui caractérise l’art du bronze gréco-romain. À partir de la conquête romaine, on observe en Gaule, pays de chaudronniers, une assez large substitution de la fonte au martelage, pour la vaisselle de luxe, mais aussi pour des bustes et des statuettes, faits par martelage auparavant; le «dieu de Bouray» est un curieux exemple de mélange incohérent, dans une phase de transition, des deux techniques.Une forme particulière du martelage est le décor «au repoussé». Cette technique, bien connue dans l’Italie pré-étrusque, n’apparaît en Grèce, semble-t-il, que par l’intermédiaire du Proche-Orient vers la fin du VIIIe siècle; mais, voulant imiter les protomes de griffon martelés qui ornaient les bassins orientaux, les bronziers grecs les ont fabriqués par coulée, non sans quelques essais malheureux, dont témoignent des ratés de fonte de Samos. Jamais les bronziers grecs ou romains ne se hasarderont à un repoussé aussi saillant que celui de ces griffons, ou de quelques coupes, également orientales, retrouvées en Étrurie.L’intérêt porté aux bronzes se manifeste d’abord par le nombre important de catalogues publiés depuis 1970 environ, qu’il s’agisse de collections de musées, de provenance diverse, ou des trouvailles d’une fouille ou d’une région. Un gros effort a été fait en France, en Allemagne, en Suisse, aux Pays-Bas, puis en Belgique, en Yougoslavie, et pour quelques musées des États-Unis; il faut mettre à part les volumes parus en Grèce, sous des signatures grecques, allemandes, françaises. L’Italie est en retard, sauf pour des musées de Vénétie. D’autres études, quelquefois annexées aux précédentes (pour les volumes portant sur des séries grecques surtout), s’intéressent systématiquement à telle série d’objets. Mais le nombre et la répartition des travaux ne correspondent que partiellement aux domaines où l’étude des petits bronzes serait importante.Les bronzes grecsL’époque dite «géométrique», celle qui se termine par l’ouverture de la Grèce à l’Orient et son expansion en Occident, dans la seconde moitié du VIIIe siècle avant J.-C., n’a d’abord été, pour les objets de bronze, étudiée que timidement. Quelques articles seulement avaient paru depuis le volume, fondamental, consacré en 1890 par A. Furtwaengler aux bronzes d’Olympie. Depuis 1950, l’étude des trouvailles d’Olympie et de Delphes a établi les grandes lignes de l’histoire des trépieds, offrandes majeures dans les principaux sanctuaires, dont ils nous éclairent ainsi les débuts. Les statuettes humaines et animales, indépendantes ou fixées sur les trépieds, montrent de leur côté que l’originalité stylistique des écoles régionales (Sparte, nord-est du Péloponnèse, Attique), qui caractérise la plastique du VIe siècle, se dessine dès le VIIIe siècle. L’importance relative des diverses régions apparaît ainsi, et cela complète et corrige ce que la céramique seule suggérait: en particulier, Athènes est ici très en retard sur le Péloponnèse, et sans production notable avant le milieu du VIIIe siècle. Les objets de bronze devraient permettre aussi de revenir bientôt sur un problème un peu oublié: la ressemblance de séries abondantes de pendeloques en forme d’oiseau et de certaines fibules avec ce qu’on trouve dans le nord des Balkans.Du milieu du VIIIe siècle au milieu du VIIe, le phénomène fondamental qu’est l’ouverture de la Grèce aux influences orientales nous est connu par les sites où les Grecs se sont installés en Orient, dont le plus important est Al Mina, près de l’embouchure de l’Oronte. En Grèce même, et en Italie, comme les tissus brodés ont disparu et que les ivoires sont assez rares, ce sont les bronzes qui nous apprennent le plus; nous pouvons confronter, sur des séries assez nombreuses, les importations orientales et les imitations «orientalisantes» qui s’y mêlent dès le début. Ici aussi, après un livre précurseur (F. Poulsen, Der Orient und die frühgriechische Kunst , 1912), il a fallu attendre le lendemain de la Seconde Guerre mondiale; depuis, l’étude des appliques de chaudrons orientaux, protomés de griffon et de taureau, bustes de sirènes, en Orient même, en Grèce (Samos, Olympie), en Étrurie, a permis de cerner le phénomène. Bien des questions restent posées, notamment sur l’origine précise (Syrie du Nord ou Ourartou) des exemplaires orientaux. Mais il est certain que, sauf à l’Héraion de Samos, toujours directement lié à Chypre, seuls certains types d’objets, et d’une région particulière, sont parvenus en Grèce; le rôle des comptoirs de l’Oronte est évident. Le cas des bronzes de Crète, en particulier ceux de la caverne de l’Ida, reste tout à fait à part: les types d’objets, leur origine ne sont pas les mêmes.En revanche, on n’a guère progressé, depuis le livre général de Jenkins, Dedalica , paru en 1936, dans l’étude des statuettes et objets contemporains des débuts de la sculpture de pierre, liée par les Modernes au nom de Dédale, sinon à propos des armes crétoises décorées, et pour déceler, dans quelques trouvailles de Grande-Grèce et de Sicile, que le style «dédalique» a connu des variantes occidentales qui expliquent ses prolongations en Étrurie.Pour l’archaïsme du VIe siècle et pour la première moitié du Ve, jusqu’au moment où la prééminence d’Athènes et l’influence des grands sculpteurs font disparaître les styles locaux, les études sont innombrables, dans la ligne des Frühgriechische Bildhauerschulen de E. Langlotz (1927). Depuis cette date, outre des précisions, des compléments, des rectifications portant sur les écoles continentales définies par Langlotz, c’est surtout à propos des îles que nos connaissances ont progressé, avec, en premier lieu, les trouvailles et les publications de Samos. En Grande-Grèce, et davantage encore en Sicile, les fouilles apportent depuis les années soixante un matériel neuf, qui fait apparaître l’originalité des ateliers coloniaux, par rapport à la Grèce propre et entre eux, et révèle, sur des sites non grecs de l’intérieur, des productions «italiques» directement influencées par les villes grecques de la côte. Locres et Métaponte appartiennent à la première catégorie; les vases de Paestum mêlent produits purement grecs et imitations «italiques».Car c’est sans doute, pour le VIe siècle dans son ensemble, la vaisselle, décorée ou non, qui a été l’objet des recherches les plus neuves et les plus fécondes: sa diffusion très vaste – commerciale à proprement parler – lui donne un intérêt historique plus grand qu’aux statuettes. Les œnochoés (fin du VIIe s. av. J.-C. et début du VIe), qu’on appelle traditionnellement rhodiennes, après avoir été mises au point à Rhodes, sont, pour la plupart, faites en Étrurie; ce sont les premiers vases de forme fermée faits dans un seul morceau de tôle, progrès technique qui permettra le développement de la toreutique grecque archaïque et classique. Dans la vaisselle à décor corinthien, il est malaisé de faire le partage entre ce qui a été fait à Corinthe même, dans les colonies corinthiennes de l’Adriatique, ou en Campanie. Les vases de bronze laconiens, exportés au début du VIe siècle depuis les Carpathes jusqu’en Sicile, se prolongent à la fin du siècle par une production qui paraît s’être déplacée en Grande-Grèce, et à quoi il faut rattacher le cratère de Vix et le grand chaudron à lions couchés découvert dans une autre tombe hallstattienne du VIe siècle, à Hochdorf, dans le Bade-Wurtemberg. Car ces vases, grecs et étrusques, ont été appréciés par l’aristocratie barbare, de Vix jusqu’à Trebenischte, en Macédoine yougoslave.On peut passer beaucoup plus vite sur les statuettes classiques et hellénistiques. À l’époque classique, elles ne sont guère que les reflets, souvent de très grande qualité, de la grande sculpture; le problème est de distinguer ce qui est réellement du Ve ou du IVe siècle des pastiches et copies d’époque romaine. Plus les examens se font précis, plus le nombre des originaux classiques diminue.Deux groupes d’objets du IVe siècle, plus originaux, sont connus depuis longtemps: les hydries, souvent utilisées comme urnes funéraires, et les miroirs. En revanche, c’est depuis les années soixante qu’une suite de découvertes spectaculaires en Grèce du Nord a révélé l’importance de la vaisselle de métal, bronze ou argent, dans le royaume de Macédoine et les régions voisines, surtout aux IVe et IIIe siècles; les deux sites principaux sont ceux de Derveni, près de Thessalonique, et de Vergina, avec la découverte des tombes de la dynastie royale. Outre les armes, le nombre étonnant des vases de toutes sortes montre que, un peu à la façon des Barbares de Trebenischte et de Vix, l’aristocratie macédonienne voulait montrer à la fois sa richesse et son hellénisme en exposant dans ses salles de banquet et en offrant à ses morts une vaisselle luxueuse, souvent à décor figuré. Le cratère de Derveni est sans doute le chef-d’œuvre de l’artisanat du IVe siècle. Même la vaisselle de Tarente, répandue dans toute l’Italie, est loin d’atteindre ce degré de raffinement. À l’époque hellénistique, l’apparition de nouveaux thèmes, sujets familiers ou pittoresques, réservés jusque-là aux terres cuites, est liée, en particulier à Alexandrie mais aussi en Asie Mineure, aux conditions sociales et politiques des grandes villes hellénistiques. La complexité et la richesse des relations entre la Macédoine, Tarente, puis Alexandrie dans le domaine de la vaisselle de luxe, se dégagent: la vaisselle de bronze ornée, à partir du IVe siècle, est supplantée peu à peu par l’argenterie.Le problème de l’«art alexandrin» est encore très discuté. Pour les bronzes, en particulier, la question est de dater les objets, car on sait que l’artisanat d’Alexandrie, comme celui d’Athènes dans d’autres domaines, a travaillé pour l’exportation pendant toute l’époque romaine, sur les thèmes traditionnels. La cache découverte dans les années cinquante à Ambelokipi, faubourg d’Athènes, mêle copies de statues classiques et figurines à thèmes bacchiques et alexandrins. En revanche, la dernière maison fouillée à Délos, détruite en 69 avant J.-C. comme toute l’île, a livré un lot de bronzes décoratifs, qui pourrait fournir un bon point de repère pour distinguer les bronzes de la fin de l’époque hellénistique et ceux qui les reproduisent aux deux premiers siècles de notre ère. Pour les bronzes «hellénistiques» découverts en Occident, le problème est plutôt celui du lieu de fabrication; quelques études sur la Gaule ont contribué à préciser certains points.Les bronzes étrusquesDepuis les années soixante-dix, plusieurs livres mettent fin à une longue période où l’étude des bronzes étrusques n’avait guère progressé. Les statuettes archaïques, étrusques proprement dites ou «ombro-sabelliques» – dans deux études générales –, les bronzes archaïques au repoussé, les miroirs, des objets divers – dans des catalogues de collections parvenues dans des musées non italiens – ont été étudiés de façon neuve. En général, cela met en valeur l’activité de centres nombreux souvent spécialisés dans tel ou tel type d’objets: la géographie de ces bronzes est généralement plus claire que leur chronologie.La période la mieux étudiée est celle des débuts, car l’apparition des objets importés est directement liée aux phénomènes par lesquels on tend à expliquer aujourd’hui la naissance du fait étrusque. La production «villanovienne», avec surtout des objets en tôle décorés au repoussé (casques, boucliers, récipients, trônes), cède peu à peu la place aux bronzes orientaux et orientalisants en Étrurie du Sud, mais se prolonge tard au nord. Les bronzes au repoussé garderont une place importante jusqu’à un groupe de trépieds et de chars, faits sans doute à Cerveteri vers la fin du VIe siècle, avec un riche décor d’influence ionienne. Des études en cours sur le matériel des riches tombes orientalisantes de Cerveteri et de Palestrina, fouillées au siècle dernier, permettront de leur attribuer des dates compatibles avec le contexte qui est celui des mêmes objets (chaudrons à protomes de griffon et sirènes en particulier) en Grèce.Bien des problèmes que posent les bronzes étrusques des périodes suivantes restent ceux de l’ensemble des arts figurés de cette région: influence plus sensible qu’en Grèce de certains objets orientaux, phéniciens ou égyptiens; liens des bronzes «dédaliques» étrusques avec la Grande-Grèce plutôt qu’avec la Grèce propre; nature et modalités des influences successives, ionienne puis attique – celle-ci, vers le début du Ve siècle, faisant trop souvent oublier aux commentateurs les liens, visibles et attestés par les textes, avec Égine. La production de Vetulonia à la haute époque archaïque est connue depuis longtemps. L’attribution des trépieds et candélabres à décor figuré du VIe siècle à Vulci n’est que très probable, de même que la production des bassins de Chiusi, influencée par les chaudrons de Campanie. Un point apparaît de plus en plus, en effet: pour les arts figurés, l’Étrurie est liée aux autres régions de l’Italie non grecque, et, bien souvent, c’est d’art ou d’artisanat «étrusco-italique» qu’il faut parler, quitte à en distinguer ensuite les faciès locaux. Les chefs indigènes de Lucanie, même tout proches des colonies grecques de la côte, préféraient emporter dans leurs tombes des vases étrusques, alors que, dans les Pouilles, les productions grecques, venues à travers l’Adriatique, dominent.C’est à propos des vases parvenus en grand nombre dans l’Europe occidentale de l’Âge du fer, jusqu’en Bavière et en Rhénanie, que les recherches postérieures à la Seconde Guerre mondiale ont apporté le plus d’éléments nouveaux: au sujet des «situles tronconiques» sans doute faites, pour la plus grande part, en Istrie-Vénétie, des «cistes à cordons» cylindriques de la même zone, des «œnochoés à bec» faites en Étrurie du Sud et à Bologne, imitées dans la vallée du Tessin, des «stamnoi» du Ve siècle.Ce sont aussi des objets, miroirs et cistes gravés, qui ont été le plus étudiés pour l’époque classique et hellénistique, davantage pour les représentations mythologiques qu’ils portent que pour leur chronologie ou leur localisation précises. Pour les cistes, au moins, l’originalité étrusque, apparente au premier abord, est moins réelle qu’il ne semblerait: la célèbre «ciste Ficorini», faite à Rome par un artisan de Praeneste, copie un vase apulien à figures rouges. La grande statuaire de bronze, malgré une littérature abondante, reste difficile à situer: de la Louve du Capitole, aujourd’hui considérée comme étrusque et de la première moitié du Ve siècle, à l’«Arringatore» (harangueur) de Florence, où l’on voit une sculpture étrusque romanisée des environs de 100 avant J.-C., en passant par le fameux «Brutus», qu’on tend à situer au début du IIIe siècle avant J.-C., par comparaison de quelques détails avec des portraits grecs de cette période.Les bronzes romainsL’étude des bronzes romains est très en retard par rapport à celle des bronzes grecs et même étrusques. Nos connaissances sont fort inégales selon les régions, à la fois parce que la production a été très variable et parce que la publication du matériel est très inégalement avancée. D’autre part, la carte de cette production se dessine mieux que sa chronologie: la complexité des influences, le retour volontaire à des types anciens, et surtout le poids de la tradition et de la routine dans un artisanat de valeurs très diverses rendent délicate l’application des méthodes de l’analyse stylistique (voir pourtant le catalogue d’Avenches). En outre, peu de statuettes ont été découvertes dans des conditions qui aident à les dater: c’est le cas de quelques trouvailles faites dans les camps de Rhénanie et sur quelques sites d’Italie du Nord. En revanche, on a pu dans plusieurs cas isoler dans un ensemble la production d’un atelier; par exemple à Straubing, en Bavière, à Brèves (Nièvre), plusieurs fois en Italie du Nord, et c’est dans cette direction, apparemment, qu’on peut attendre les progrès les plus nets.En Italie, deux régions seulement ont eu une production importante, et aucune n’est réellement étudiée. La première est la Campanie, active au moins jusqu’à la fin du Ier siècle de notre ère. Le classement des réserves du musée de Naples devrait permettre d’avoir enfin une vue d’ensemble des découvertes des «villes du Vésuve», bien datées par l’éruption de 79 après J.-C.: repère capital, par rapport à quoi un grand nombre d’autres objets pourront être situés. En même temps, la qualité très médiocre de beaucoup de statuettes de Pompéi et d’Herculanum devrait dissuader d’utiliser trop simplement le critère de la qualité pour distinguer, dans les trouvailles de Gaule par exemple, les importations italiennes des produits locaux. Pour les vases, le rôle des ateliers campaniens est connu depuis longtemps. Mais les découvertes faites dans les provinces montrent aussi que les exportations campaniennes ont donné lieu très vite à des imitations: les trouvailles faites dans la Saône suggèrent que le centre-est de la Gaule, et peut-être d’abord Lyon (comme pour la céramique), a été un centre actif dès le Ier siècle.L’autre région d’Italie productrice de bronzes est la Cisalpine, qui a surtout fait des statuettes et des appliques, jusqu’à la fin de l’Antiquité.Cependant, on a tenté (S. Boucher) de dresser un tableau d’ensemble des statuettes de Gaule. C’est sans doute la province qui a fourni le plus grand nombre de petits bronzes, avec une originalité certaine. À côté de choix esthétiques dont la raison apparaît mal, comme une prédilection très nette pour des sujets «de genre» de tradition alexandrine, on trouve des thèmes liés aux croyances gallo-romaines: figurations de divinités d’origine celtique, ou types particuliers traduisant en schémas romains des aspects de la religion locale. Il semble qu’après une production limitée, mais souvent très soignée, dès le Ier siècle après J.-C., la fabrication soit devenue beaucoup plus abondante au IIe siècle et dans la première moitié du IIIe, avec des séries très nombreuses de certains types, de Mars et surtout de Mercure, un peu moins abondantes pour d’autres dieux, Jupiter et Apollon. Une partie des études montre la dégénérescence progressive de types statuaires classiques; cette voie est certainement moins féconde que celle qui cherche à préciser les préférences locales ou régionales et à en déterminer les raisons, sociales ou religieuses. Ainsi, l’usage du laraire à la romaine, rassemblant dans la maison des statuettes divines, peut révéler un aspect de la romanisation, dans les villes de Gaule comme aussi dans les grandes villas de Pannonie, qui en fournissent plusieurs exemples.Pour l’Orient, les problèmes sont un peu différents. Certaines séries, comme celle des innombrables Vénus «syriennes», ont découragé jusqu’ici l’étude systématique par leur monotonie, quoique, pour certaines, des détails matériels ou stylistiques permettent de les distinguer des exemplaires occidentaux. Les statuettes de divinités orientales ou égyptiennes, répandues dans tout l’Empire, ont souvent voyagé avec leurs propriétaires, commerçants ou militaires: les types, bustes de Sérapis, statuettes d’Isis, figurations plus rares du Jupiter syrien, sont clairs; leur datation et la détermination de leur lieu de fabrication sont rarement possibles, ce qui n’ôte rien à l’intérêt que présente leur répartition géographique.La publication détaillée d’une large part de la vaisselle de bronze de Pompéi, en particulier toute celle de la regio prima de la ville, donne enfin une base sérieuse de réflexion dans ce domaine, qu’il s’agisse de chronologie, puisque l’éruption du Vésuve de 79 donne un terminus sûr, de l’histoire des formes et des décors, où on pourra apprécier mieux la part de l’héritage hellénistique, mais aussi de la place que tient réellement la vaisselle de bronze à cette date par rapport aux récipients d’argent, de céramique et de verre. Il restera au moins deux problèmes irritants: ceux des noms latins et de la fonction d’un certain nombre de formes, par exemple celle qu’on appelle communément «casserole», qui paraît avoir eu parfois un usage cultuel, mais qui figure aussi dans le paquetage des légionnaires. Les rapports entre la vaisselle de bronze et l’argenterie apparaissent mieux. À l’époque augustéenne, c’est la céramique sigillée qui copie l’argenterie, les formes et les décors du bronze étant différents; cette distinction s’atténue ensuite, en même temps qu’apparaissent des vases de bronze rehaussés de métal précieux. Quelques productions régionales ont été mises en valeur: celles de certains pots à anse décorée ou d’un type de plats ovales en Gaule. Signalons enfin quelques études qui insistent sur la diffusion de cette vaisselle hors des frontières de l’Empire: plus de trois cents vases jalonnent, pendant toute l’époque romaine, la route de l’ambre, de la Baltique à Aquileia; il arrive plusieurs fois que ces trouvailles extérieures donnent, par un contexte de tombe par exemple, des indications chronologiques précieuses.
Encyclopédie Universelle. 2012.